Trois ans, déjà.
Trois ans qu’Anis court pour ne plus qu’on la rattrape. Trois ans que Nora a préféré ralentir, pour s’arrêter de penser. Trois ans que Milan s’en veut de n’avoir rien pu faire. Trois ans que Steven a fermé mes yeux, et qu’il avance dans le noir.
Cette nuit-là les a marqués à jamais.
Et chacun doit réapprendre à vivre, avec cette voix intérieure qui ne les quitte pas. Cette voix qui ne cesse de grandir et ne s’arrêtera pas de parler. Pans tant que les coupables n’auront pas payé.
Alors que le passé ne leur laisse aucun répit, comment retrouver le fil de leurs vies suspendues ?
Scrineo – 304 pages – 17,90 euros.
Un récit poignant et émouvant qui évoque une des pires atrocités encore trop souvent tue…
Je tiens à remercier les éditions Scrineo pour cette lecture. Je l’ai beaucoup vue passer au sein du Club des Lecteurs Scrineo, et j’ai eu beaucoup de regrets de ne pas l’avoir sélectionnée pour pouvoir le lire. Mais voilà, c’est chose faite, et je ne regrette absolument pas mon choix. C’est un récit intense et émouvant que j’ai découvert, avec toutes les émotions qui se dégagent d’un sujet aussi difficile que celui-ci…
Trois ans auparavant, un 4 juillet. Les portes du lycée où étudient les jeunes femmes sont bondées de monde. C’est l’heure fatidique, celle de l’annonce des résultats du bac. Anis cherche sa meilleure amie dans la foule, sans parvenir à la trouver du regard. Peu de temps après, Nora arrive et demande à son amie Anis ce qu’il en est. Mais cette dernière n’a pas encore pu accéder aux panneaux des résultats. Mais Nora n’est pas connue pour sa légendaire patience, et va donc se frayer un passage et photographier les résultats pour les envoyer à Anis, restée en arrière. Les deux jeunes femmes ont de quoi être contentes, puisqu’elles sont toutes deux titulaires de leur baccalauréat. Seul le copain de Nora, Steven, échappe de peu aux rattrapages, avec une note frôlant dangereusement la moyenne.
Anis aperçoit des chiens dans la rue, qui se tournent autour, avec une idée précise en tête, mais le mâle se résigne et passe à autre chose. Les animaux savent s’arrêter, alors qu’il en est beaucoup plus difficile pour les hommes. Anis habite dans un studio, au sixième étage, son havre de paix, où elle tient à l’écart tout ce qui pourrait lui rappeler les événements qu’elle a subi. Anis a son petit rituel, celui de se rendre au Marigny, tenu par Jeff. Elle y commande toujours le même petit-déjeuner, et selon l’emplacement qu’elle choisit pour s’installer, Jeff sait si elle désire discuter ou être seule, en toute tranquillité. Dehors, derrière la vitre où elle se tient, un homme la regarde, une lueur dans le regard, puis poursuit sa route.
Anis voyait rouge, et elle avait envie de lui coller une bonne leçon. Plus rien ne serait jamais comme avant, plus après cette soirée du 14 juillet où tout a basculé…
Des personnages authentiques peuplent cette histoire qui résonne comme un témoignage, teinté d’une touche de fantasy.
Nos Vies Suspendues fait partie des romans qui nous plongent dans la réalité, la plus véritable et dure soit-elle. Dans ce récit, qui sonne comme un témoignage, les mots sont justes et les émotions transparaissent avec netteté. On se sent à la place des personnages et de leurs points de vue, des instants qu’ils ont vécu et des tourments qui tournent en boucle dans leurs pensées suite au terrible drame qui s’est produit le soir du 14 juillet. Peu à peu, on en apprend davantage sur ce qu’il s’est vraiment déroulé. Et c’est aussi avec un aspect psychologique que l’auteure nous met sur la piste des événements, en citant plusieurs fois l’expérience de Milgram et des atrocités qui peuvent être perpétrées sous l’influence d’autres personnes. On ressent toute l’impuissance des victimes de cette histoire, et la difficulté dans laquelle se trouvent nombre de personnes impliquées. Avec, chacun, son état d’âme, sa part de responsabilités et ses interprétations.
La rancœur et la douleur sont bien présentes et ont même changé Nora, qui incarnait autrefois une jeune femme pétillante et débordante d’énergie. Depuis ce jour, elle s’est effondrée sur elle-même, au point de modifier son comportement et ses habitudes, même alimentaires, qui n’allaient pas tarder à changer son corps en une prison de chair. Anis, quant à elle, a une façon bien différente de vivre suite aux événements qu’elles ont vécues toutes les deux. L’auteure nous dépeint deux visages, deux personnalités, deux façons de vivre et de penser vers lesquelles on peut se rattacher, comme différents stades qui s’enchaînent jusqu’au moment où les coupables paieront suffisamment de leurs actes. C’est un récit accablant, écrit sans détours, avec parfois quelques mots crus, qui sont percutants et rappellent la violence des pensées de certains, et des moments où tout va bien plus loin qu’une simple pensée…
Les deux personnages principaux sont ancrés dans la réalité, et apparaissent comme profondément humaines. Mais il y en a d’autres aussi qui s’avèrent être aussi importants dans la vie des deux jeunes femmes, je veux parler de Milan, qui s’en veut terriblement de n’avoir rien fait pour leur venir en aide. C’est quelqu’un sur qui l’on peut compter, sans hésitation, qui a le sens des priorités et qui veut remettre de l’ordre dans la vie de ses amies. C’est une lecture dont on ressort avec plein de réflexions, sur la gravité des faits, avec un avant-propos qui nous plonge directement dans les textes de loi et la reconnaissance du viol dans le monde juridique. Il reste encore beaucoup trop de travail pour que les mentalités évoluent, et ce n’est pas sans rappeler les hashtags qui ont inondé les réseaux sociaux il y a encore peu de temps. Mais désormais, tout est rentré dans l’ordre et le calme, alors que rien n’a changé pour toutes celles qui sont et seront victimes de ces actes.
Ma note : 4,5/5